On me reproche parfois d’être trop manichéen, de manquer de nuance, et de ne voir souvent que le verre à moitié vide, au lieu de voir aussi celui à moitié plein. C’est possible, mais croyez-moi, si cela est vraiment vrai, je n’en tire aucune fierté ni aucune gloire, laissant ces gens passer leur temps à faire des cocoricos en louchant sur ces fameux verres à moitié pleins, probablement avec l’espoir de pouvoir un jour en boire. 

Toujours est-il, j’ai décidé de pousser une grande gueulante, et si je pouvais faire plus, je ne me serais pas gêné parce qu’il y a bien de quoi. 
Je vais commencer d’abord par vous parler d’un fait dont beaucoup de mes ami(e)s et proches qui suivent mes délires et mes égarements, ici et ailleurs, sont déjà au courant.

Au début de cette semaine, choqué par une information que je venais de lire à propos de la privation de vaccins de l’ensemble des palestiniens des territoires occupés, j’avais publié un tout petit post sur ma page Facebook, histoire d’avoir l’avis de “mes suiveurs”, et surtout avec l’espoir que ça puisse contribuer, d’une manière ou d’une autre, à faire changer cette aberration plus qu’inhumaine. 24 heures après cette publication, mon modeste post n‘a eu droit qu’à 7 ou 8 malheureuses et discrètes réactions, alors que ma page est publique et que je targuais d’avoir près de 5000 amis et amies, certes virtuel(le)s, mais dont l’existence est bien réelle.

C’est vrai que je n’avais jamais été naïf au point de croire que cet espace pouvait être le lieu idéal d’échange et de débat, mais là, je suis tombé des nues. Pourtant, je ne demandais pas la lune : juste un mot ou deux pour montrer que ce n’est pas parce que nous nous sommes réconciliés avec nos frères et sœurs de confession juive – avec lesquels d’ailleurs nous n’étions jamais réellement fâchés – et que nous avons re-normalisé nos relations avec l’Etat d’Israël, que nous allons jeter aux oubliettes nos autres frères et sœurs de Palestine que nous avons soutenus durant plusieurs décennies, non pas parce qu’ils étaient des arabes ou des musulmans – d’ailleurs ils ne le sont pas tous – mais parce qu’ils sont d’abord des êtres humains qui ont subi et qui subissent toujours énormément d’injustices. Que certains de leurs dirigeants ne soient pas à la hauteur de leurs fonctions ou qu’ils aient perdu trop de temps dans les slogans et dans les manigances, n’est pas une raison de les laisser à leur sort qui est loin d’être enviable.

J’ai trouvé ce silence incompréhensible et inacceptable que j’ai pris la décision de m’éloigner des réseaux sociaux, temporairement ou définitivement, je ne sais pas encore, en tout cas, le temps d’y voir un peu plus clair sur ces nouveaux changements dans les attitudes de mes concitoyens et mes concitoyennes, surtout les prétendument plus proches de moi.

Le lendemain de cette décision, c’est-à-dire hier, un fait très grave est arrivé dans ma petite famille. Mon fils a été victime d’une très lâche et très violente agression physique de la part du gérant d’une salle de sport dans laquelle il s’entraîne de temps à autre, une salle qui est censée être fermée, conformément aux mesures restrictives décidées par les autorités locales de la ville, mais qui est ouverte des mois, “clandestinement” , mais au vu et au su de tout le voisinage, fataliste qu’il est face au silence complice et aux yeux fermés car sans doute monnayés de certains responsables chargés de l’application de ces mesures. Quelques minutes après avoir appris la nouvelle, nous avons avisé la police qui s’est déplacée aussitôt sur le lieu qu’elle a trouvé, évidement, fermé, et ses occupants absents.

Quant à nous, nous nous sommes retrouvés au service des Urgences, et dans son univers kafkaïen que nous pensions avoir disparu. Je connaissais bien les Urgences de Casablanca pour les avoir visitées, malgré moi, plusieurs fois, je connaissais cette atmosphère glauque et limite mafieuse mais hier, j’ai pu constater de visu que la situation a empiré. Je ne vous parle pas des queues interminables des gens qui se bousculent pour pouvoir avoir un numéro qui va leur permettre de voir un médecin ou juste pour faire des soins, ni de ceux qui attendent durant des heures leur tour pour faire une radio ou autre, tout en suivant tous les micmacs qui se passent sous leurs yeux. 

Et à propos de micmacs, dès notre arrivée aux Urgences, nous avons été abordés par des individus qui nous proposaient leurs “services” d’intermédiations, les uns pour avoir un passe-droit pour passer avant les autres, les autres pour avoir un certificat de complaisance ou des prestations à l’œil. 

Bref, Kafka est encore là, et règne toujours en maitre absolu.

En d’autres termes, c’est ce Maroc, corrupteur et corrompu, ce Maroc de salauds et de pourris, qui n’a pas encore changé. Maintenant, parlons de cet autre Maroc qui, heureusement, change ou, du moins, est en train de changer. Après des heures dans ce lieu de de souffrance moyenâgeux, nous nous sommes dirigés vers un des commissariats du centre-ville, dont dépend la fameuse salle de sports semi-fermée, semi-ouverte, et là, c’était le jour et la nuit.

En plus de la propreté et le modernisme des lieux, nous avons eu droit à un accueil des plus chaleureux de la part de tout le personnel, à commencer par le Commissaire Principal lui-même, qui se reconnaîtra, et qui a fait preuve d’une écoute exceptionnelle et d’une efficacité extraordinaire, puisque, moins d’une heure après, le chef des agresseurs de mon fils était dans son bureau, et subissait son premier interrogatoire. Nous n’avons quitté le commissariat qu’à quelques minutes avant l’heure du couvre-feu, exténués mais très rassurés quant à l’issue de cette tragédie inqualifiable. 

Oui, une partie du Maroc s’accroche encore à ses anachronismes, à ses archaïsmes, à ses peurs et à ses lâchetés, mais oui également, une autre partie de ce même Maroc qui a envie de changer et qui essaye de le faire du mieux qu’il peut, avec un certain volontarisme et avec une certaine audace. 
Alors, c’est pour cela que, malgré tout, je reste profondément optimiste jusqu’à croire que peut-être qu’un jour on versera le verre à moitié plein dans celui à moitié vide, pour pouvoir enfin vivre pleinement nos ambitions et nos rêves. Amen.  


En attendant, je vous souhaite un très bon weekend, et vous dis à la semaine prochaine pour un autre vendredi, tout est dit.