Par Ahmed SABBARIEnseignant chercheur en Sciences de Gestion – Université Cadi Ayyad

La crise actuelle est un phénomène protéiforme, d’abord sanitaire, puis économique et sociale. Il est clair que son déroulement est bien différent des autres précédentes, même si toutes les crises agissent comme déstabilisatrices de certaines convictions qu’on pensait imparables. Ainsi, avec la fermeture des frontières internationales, la version actuelle du modèle néo-libéral se trouve interrogée, les fondements des avantages comparatifs redoutés et certains compromis sociaux sont remis en cause.

La mondialisation est ainsi mise à l’épreuve comme jamais et le danger de la dépendance économique excessive s’est rendu visible. La souveraineté économique revient au cœur d’un grand débat sur les risques d’une mondialisation ultra-libérale. Mais est-ce que la mondialisation des marchés est la source de tout ce désastre ?

Le glissement fatidique survient quand le jeu de l’interdépendance est mal mené. Que le Maroc soit lourdement impacté par cette crise, cela ne saurait justifier une désintégration économique totale. Il conviendrait plutôt de s’interroger sur les secteurs où nous pouvons nous permettre d’être dépendants du marché mondial, et ceux où cela représente un risque. Parce que la dépendance de notre économie n’est pas uniquement liée au marché mondial, elle a aussi une double dimension sectorielle et structurelle.

Nous savons ce qu’une année de sécheresse ou d’instabilité politique fait subir à notre économie exagérément dépendante de l’agriculture – avec ses modes de production à faible valeur ajoutée – et du tourisme. Nous pouvons également évoquer une dépendance vis-à-vis de l’économie informelle qui pèse lourd en termes de création d’emploi et de richesse.

L’autonomie économique devrait être cherchée pour tout ce qui est stratégique comme  la sécurité alimentaire (agriculture et pêche), le système de santé, les services en ligne, la transformation numérique et le stockage d’énergie. Plusieurs études font déjà la conclusion d’une grande percée de certains secteurs d’activité (télécommunication, pharmaceutique, grande distribution, agro-industrie) au moment où d’autres ont été heurtés de plein fouet par cette crise. Encore faut-il que nos modes de productions soient reconfigurés et que nos industries soient diversifiées. 

Notre plan de relance gagnerait à faire de la modernisation des modes de production et de la diversification industrielle un moyen de renforcement de notre immunité économique face aux aléas climatiques, aux impulsions de l’économie mondiale et à ses fluctuations conjoncturelles.

La diminution du poids stratégique de notre dépendance des échanges internationaux passe par la substitution aux importations. Ce qui exige une stratégie adéquate pour réconcilier le consommateur marocain avec le produit local et une réorientation de la machine productive vers la satisfaction de la demande intérieure. Le patriotisme économique est une action complexe, qui nécessite une forte mobilisation de l’Etat, des entreprises et de tous nos institutions de socialisation dans le seul but de réhabiliter le Made in Morroco.  

Par ailleurs, l’ampleur de l’économie informelle devrait absolument être atténué. La présente crise sanitaire nous a fait sentir l’urgence de la généralisation du système de protection sociale et la délicatesse d’une décision du confinement qui a failli amplifier des risques sociaux aux conséquences imprévisibles en perturbant le quotidien d’une grande proportion de pauvres gens qui vivent de l’économie informelle. 

Un scénario post-crise plus optimiste est alors envisageable. Nous pourrons désormais avoir plus de visibilité quant à notre souveraineté économique. De quoi alimenter la réflexion que mène notre pays pour l’élaboration d’un nouveau modèle de développement.