Au bout de quelques années de travail et de recherche sur la problématique de l’enfance en état de vulnérabilité au Maroc, je peux oser ces trois chroniques dont voici la première. 

L’expérience marocaine en matière de législation et surtout de mise en conformité du dispositif juridique national avec la convention internationale des droits de l’enfant – CDE – et des protocoles facultatifs, est une expérience dont on peut, franchement, être fiers.

Pour rendre à César ce qui lui appartient, il faut rappeler que ce chantier, celui de la protection juridique de l’enfance, faisait partie des chantiers ayant réellement marqué les premières années du règne du Roi Mohammed VI. Les gens se rappellent du code de la famille, mais malheureusement pas de la loi sur la Kafala, ni de celle régissant les EPS ( Établissements de Prévoyance Sociale), ou de la réforme de la procédure pénale pour la partie portant sur l’enfance en situation difficile ou en contact avec la loi.

Seulement, quinze ans après la mise en place de ce dispositif, une véritable évaluation s’impose. Malheureusement, cela ne semble pas faire partie des préoccupations actuelles du gouvernement puisque aucune initiative n’a été prise dans ce sens. Mais, les ONGs les plus engagées ont déjà fait le nécessaire !

La pratique aussi bien judiciaire, administrative qu’associative met en évidence les limites, les vides et les dysfonctionnements du dispositif juridique national. Tous les acteurs concernés partagent ce constat et plaident pour une réforme visant principalement :

Le Réaménagement de la loi sur la Kafala dans le sens d’une véritable protection de l’enfant makfoul. Il y’a lieu de: 1) rendre plus efficace l’enquête préalable en en confiant la diligence au Procureur du Roi uniquement; 2) se conformer à l’article 33 de la convention de La Haye exigeant l’autorisation préalable du pays d’accueil; 3) habilité les autorités consulaires et, à défaut, les gouvernements des pays d’accueil d’assurer le suivi des kafalas en provenance du Maroc ; 4) rendre éligibles à la Kafala les couples dont l’épouse est d’une religion monothéiste autre que l’islam puisque ce dernier n’interdit pas ce mariage…Et j’en passe.

La Réforme du code pénal dans le sens d’une meilleure protection des enfants survivants aux violences sexuelles. Là, il serait souhaitable de requalifier de « crime » passible de 5 ans de prison au moins, toute sorte d’abus sexuels consommés ou tentés dont un enfant pourrait être victime. Plus de délits. Aussi, il est nécessaire d’enlever la discrimination à base du sexe de la victime en matière de viol. Même un garçon peux être violé. Enfin, il est important d’incriminer et de réprimer toutes formes d’incitation, d’intimidation, d’exploitation ou de chantage qu’un enfant pourrait subir via internet et les réseaux sociaux…

la Réforme du Code de la procédure pénale qui est loin, vraiment très loin, de garantir un traitement judiciaire spécial et individualisé en faveur de l’enfant en situation difficile ou celui auteur d’infractions pénales. Le 1er cas mérite d’être traité selon une approche psycho-soxiale où la réconciliation avec la famille et éventuellement le placement de l’enfant auprès d’une famille d’accueil prendraient le dessus sur la rééducation pénale. Cela nous évitera le fait très fréquent qu’un enfant en situation difficile soit placé dans le même endroit qu’un enfant ayant violé le code pénal. Il est également attendu qu’une telle réforme instaure de nouvelles règles d’enquête, d’audition et de procès tenant compte de la psychologie de l’enfant et prenant en considération le principe universellement consacré de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Inutile de rappeler que le malheur de la justice juvénile en général , c’est la Preuve. Si les faits ne posent aucun problème, la Preuve est très souvent difficile à établir. Du coup, faute de preuve ou bénéficiant du doute, beaucoup de criminels échappent à la justice. C’est à réformer de toute urgence, et c’est faisable !

La Promulgation d’une loi sur la prise en charge de l’enfance sans soutien familial selon l’approche « Famille d’accueil ». Cette loi ne remplacera pas celle de la Kafala, mais prendra en charge une catégorie d’enfants exclus par la pratique (et non la loi) de la Kafala. Il s’agit principalement des enfants sans soutien familial âgés de plus de 4 ans, des enfants en situation de handicap et des enfants en situation difficile. Les expériences menées par de grandes ONGs telles SOS Villages d’enfants et Bayti ont été très concluantes et montrent que ce protocole consistant à « professionnaliser » le placement familial, a atteint assez de maturité pour solliciter un encadrement juridique approprié. 

Il est bien entendu que le développement de l’enfance en général et la protection de celle en situation de vulnérabilité en particulier, nécessitent une approche à trois dimensions. La réforme du cadre juridique en est une. Les deux autres, à savoir la gouvernance et la politique publique, seront mises en exergue dans les prochaines chroniques. À suivre !

Jaouad Benaissi, Consultant auprès de plusieurs ONGs internationales militant pour la cause de l’enfance en situation de vulnérabilité.