Par Mohamed LAROUSSI

Cette semaine, il y a eu une information qui aurait pu être à la Une de toute la presse, et qui aurait dû être très largement commentée sur les réseaux sociaux et dans les terrasses de tous les cafés du Commerce et tous les bars des Négociants, mais qui est passée presque inaperçue. Pourtant, le sujet intéresse tous les Marocains, et en premier lieu, les chômeurs, ou ce que les économistes appellent pudiquement « les demandeurs d’emploi ». 

Il s’agit de l’info sur cet immense chantier d’embauche en masse auquel on a donné un titre aussi vague que prétentieux : « Awrach ». Il est vrai que ce programme envisage la création, durant les années 2022 et 2023, de pas moins de 250 000 postes de travail, ce qui n’est pas rien. 

Dois-je vous rappeler que le chiffre officiel « des demandeurs d’emploi » pour l’année 2021 dépasse les 1,6 million, ce qui signifie que « Awrach » compte donner du travail à près de 16 % de nos chômeurs. Waou ! 
Cependant, on se doit de préciser le sens du mot « chômeur » et du mot « demandeur d’emploi ».

On va commencer par ce dernier. Si je me réfère aux vieux souvenirs de mes cours de macroéconomie, on considère comme demandeur d’emploi, en gros, celui qui déclare qu’il n’a aucun emploi au moment où on l’interroge, ou bien qui atteste qu’il est inscrit dans une institution dont la mission est de lui en trouver. Vous pensez bien que le chiffre obtenu à travers ce type d’approche relativement sophistiquée, reflète rarement la réalité.

Par ailleurs, il y a chômeur, chômeur et chômeur. 

Il y a en premier lieu on a le chômeur qui n’a pas de boulot, qui aimerait bien en avoir, qui en cherche constamment un qui correspondrait à ses aptitudes, sa formation ou son expérience, et qui serait prêt à prendre tout ce qu’on lui donne, quitte à changer de métier, pour ne pas rester inactif. 
Puis, vous avez le chômeur pur et dur qui n’a aucun boulot, mais qui n’en cherche jamais parce qu’il est foncièrement persuadé « qu’il n’y a pas de travail au Maroc », « qu’il faut être pistonné », et qu’il ne veut « pas travailler pour 2 francs ». En général, celui-là se débrouille autrement comme, par exemple, en vivant aux dépens de ses proches, des personnes souvent valeureuses qui ont trouvé un travail, sans piston, et qui l’ont accepté même si elles n’y sont pas très bien payées. 

Enfin, nous avons le « chômeur » qui refuse de rester les bras croisés et de continuer de dépendre de sa famille. Parfois, il a l’intention lui-même de fonder une famille, ou bien il a des parents et des frères et sœurs à nourrir. Cette personne – homme ou femme – se lève le matin, sort et se dirige vers un lieu, habituel ou pas, et propose ses services et ses compétences.

Beaucoup n’ont que leur force physique à mettre en avant. Ils vont porter pour nous toutes sortes de marchandises ou d’articles, ou faire pour tout type de travaux que nous ne pouvons pas ou que nous ne voulons pas faire. Et il y en a d’autres, de plus en plus nombreux, qui qui vont s’installer quelque part, là où on les laisse se mettre tout en les chassant de temps à autre. Ils posent leur « vitrine » ambulante sur une toile cirée appelée « farracha », un terme au double-sens de « dénonciateur » ( ou révélateur ») et de « matelas ». La « farracha » est en train de devenir une véritable industrie au Maroc, et doit probablement réaliser un chiffre d’affaires de plusieurs milliards. On y trouve de tout et tout le monde dans ce « secteur ».

Ça va de celui qui va essayer de vendre des assiettes cassées, des verres ébréchés, des médicaments périmés ou des batteries de portables vides – un bazar récupéré dans une poubelle ou dans une décharge – jusqu’au vrai commerçant qui arrive chaque matin avec sa camionnette pleine de vêtements ou de chaussures aux signatures illustres grossièrement imitées, qu’il dépose sur une grande bâche à la dimension et à la valeur de sa marchandise, en passant par de multiples petits vendeurs qui proposent d’innombrables articles de tout genre, dont les fameux vieux habits dit de « Balle », débarqués de je ne sais quel pays ou de je ne sais quel continent. 

Et je n’ai pas parlé de ces autres « chômeurs » qui vendent notamment des fruits et légumes et qu’on appelle des « marchands ambulants », alors que la plupart d’entre se sont sédentarisés depuis très longtemps avec l’aide et la complicité des certains élus véreux ou certains représentants de pouvoirs publics pourris. 

Je n’ai pas la prétention de faire une analyse académique du chômage, de ses causes ou de ses solutions car je n’en ai ni la légitimité ni les compétences requises. Si j’ai été amené à en parler aujourd’hui, c’est juste pour m’interroger sur cette nouvelle initiative de ce nouveau gouvernement, la première du genre, et sur sa pertinence. Ou pas.

Autant je peux être sensible à l’aspect généreux de ce projet et à son utilité sociale indéniable, autant je crains que ce ne soit finalement qu’une de ces solutions cosmétiques qui ne durent que le temps d’un maquillage ou d’une opération esthétique de type botox ou Hollywood Smile. 

Il est vrai que 250 000 emplois, même payés au Smig, ne doit pas être sous-estimée, ne serait-ce que parce que cela va sûrement améliorer le quotidien de 250 000 familles ou ménages. Cela devrait également donner un petit coup de fouet à la consommation, et donc contribuer, même un tout petit peut, à la relance économique. Oui, mais après ? Que va-t-il se passer à la fin des chantiers ? 

En tout cas, J’espère de tout cœur que « Awrach » n’est pas qu’un ensemble de « projet fakes » ou des « faire semblant », mais bien des projets structurants et/ou utiles. Après tout, l’histoire du Maroc a bien retenu un grand chantier, inoubliable, à savoir la fameuse « Tariq Al Wahda » (« Route de l’unité ») qui avait mobilisé plusieurs milliers de jeunes. Sauf que son but de cette initiative n’était pas de trouver du boulot pour les chômeurs, mais plutôt de consolider le front intérieur, au lendemain de l’indépendance. 

Et puis, n’est pas Mehdi ben Barka qui veut. Voilà, c’est dit. 

En attendant de voir ce que tout cela va donner, je vous souhaite un très bon weekend, et je vous dis à la semaine prochaine, pour un autre vendredi, tout est dit.