Durant quelques séjours à Londres dans le cadre d’événements organisés par un institut spécialisé, j’ai eu l’occasion de rencontrer une poignée de leaders d’opinion, notamment des journalistes, des intellectuels, des artistes et des blogueurs des plus grandes capitales occidentales (Washington, Paris et Londres). L’une de ces réunions a eu lieu l’année dernière, en pleine effervescence du sujet de l’éventuelle destitution ou démission du président américain Donald Trump. C’était le résultat des vastes débats qui se déroulaient dans les salles du Congrès, parallèlement aux manifestations dans certains États, exigeant le départ du Président en cours de mandat.

En effet, c’était un sujet controversé, avec une majorité des personnes présentes qui prévoyaient que Trump n’arrivera pas à terme. J’étais plutôt d’avis qu’il continuerait à diriger les Etats Unis d’Amérique jusqu’à la dernière minute de son mandat, et même que ses chances de remporter une seconde présidence seraient très fortes. Le rationnel derrière se résume en trois points :

  • Première considération : Trump est le premier président américain à s’être engagé à mettre en œuvre la quasi-totalité de ses programmes électoraux, notamment dans les domaines économique et social.
  • Deuxième considération : Le conflit israélo-palestinien. À ce moment, il y avait des discussions dans les sanctuaires intérieurs concernant un nouveau plan américain, le Plan de Paix Trump pour traiter ce problème, qui a commencé avec le déménagement de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem en guise de prélude très symbolique de «l’accord du Siècle » élaboré dans le plan Trump.
  • Troisième considération : l’utilisation par Trump des médias sociaux de manière inédite.

Force est de souligner que l’opinion publique mondiale était sous l’influence médiatique intense des opposants de Trump, et beaucoup prédisaient une révocation imminente du locataire de la maison blanche. Ce qui se passait par ailleurs sur les médias sociaux suggérait que l’homme instrumentalisait avec un certain contrôle les mécanismes du virtuel à son avantage.

La manière dont Trump a été élu président en 2016 a elle-même suscité la controverse quant au rôle indéniable des réseaux sociaux dans sa victoire, en passant par l’accusation de la Russie d’ingérence et de complicité durant la campagne électorale contre la candidate Démocrate Hillary Clinton, ce qui a incité les institutions américaines, telles que le Congrès et les organes de sécurité nationale, à mener des enquêtes sur la question.

Après avoir remporté les élections présidentielles de 2016, Trump a continué  dans sa conquête digitale, avec un penchant particulier pour Twitter, en maintenant un contact quotidien avec des remontées instantanées de ses compatriotes, même du Monde et ses dirigeants. Que ce soit à travers des messages explicites ou cryptés, à ses adversaires ou amis, chez lui ou à l’étranger.

Il s’agit bien d’une rupture historique avec le protocole et circuit de communication connus des chefs d’États. La pratique la plus courante consiste à confier les tâches de communication aux collaborateurs qualifiés ou bien aux institutions spécialisées. Néanmoins, Trump s’est appuyé, tout au long de son mandat présidentiel, sur l’utilisation rapide, directe et personnelle de ces réseaux en ligne, dans la mesure où de nombreux observateurs et experts en communication numérique étaient d’avis que l’approche de Trump lui apportait plus de tort que de crédit.

Si vous voulez mon humble avis, je pense tout l’inverse. La méthode de communication de Trump avec le peuple américain et avec le reste du monde lui a donné plus de pouvoir, tant aux États-Unis qu’à l’étranger. Cela m’amène à penser que le deuxième mandat présidentiel est probablement garanti à Trump, grâce à son utilisation appropriée, efficace et intelligente des réseaux sociaux, sans oublier les deux autres considérations évoquées plus haut.

Tout cela nous amène à une question clé que j’ai précédemment soulevée dans des articles et lors d’événements organisés par l’Observer Research Foundation (ORF) à New Delhi. J’ai affirmé qu’au cours de la dernière décennie, les politiciens ont concurrencé les plus grandes marques commerciales et sont devenus l’un des utilisateurs les plus importants des réseaux sociaux dans le but de contrôler les centres de décision. Ils sont suivis de près par les différents mouvements terroristes dans le monde, qui ont excellé dans l’utilisation d’Internet pour mener à bien leurs stratagèmes destructeurs.

Cette réalité challenge fortement l’opinion générale selon laquelle les internautes auraient se sont servis des réseaux sociaux et du large espace qu’ils offrent pour décrocher davantage de  liberté d’expression et d’opinion. Cependant, la montée de la désinformation et de la propagande – ou «l’infodémie» – nous amène à nous interroger sur la nécessité pour le monde, d’une référence internationale soutenue par l’ONU et visant à réglementer cet espace, à l’instar de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, ou le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en plus d’un cadre juridique international qui régirait les droits et devoirs des utilisateurs des médias sociaux.

Lorsqu’on observe le profil des utilisateurs de réseaux virtuels, en excluant certains services sociaux et la promotion de certaines expériences humaines, il est frappant de constater une certaine prédominance de trois catégories de personnages :

  • La première catégorie fait référence aux mouvements terroristes. On est bien conscients que tous leurs contacts et plans extrémistes, que la promotion de leur littérature sanguinaire et leurs opérations destructrices, ont été fortement initiées via Internet, leur permettant de réserver un large territoire sur la scène publique. Il n’y a pratiquement pas une personne dans le monde qui n’a pas entendu parler d’Al-Qaïda ou de Daech, par exemple.
  • La deuxième catégorie comprend les marques des firmes FMCG et de luxe et high tech (notamment les telcos) ayant fortement contribué à l’essor de ces réseaux, et qui en sont les principaux bénéficiaires, à la fois financièrement et commercialement.
  • La troisième catégorie comprend les politiciens en fonction ou en compétition. Certains politiciens ont exploité les réseaux sociaux pour astiquer leurs images, qui ont été entachées de flagrantes violations des droits de l’homme. Ils ont également réussi profiter des contenus diffusés sur ces réseaux pour promulguer des lois qui consolident leur pouvoir absolu et restreignent les libertés.

Il existerait aussi un quatrième groupe, composé d’activistes et défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels. Toutefois, leur nombre et leurs degrés d’influence sur les réseaux sociaux restent très limités.

Enfin, la question qui vient inévitablement à l’esprit est la suivante: qui est le principal bénéficiaire de l’insuffisance réglementaire du cyberespace? A qui profite ce manque de vigilance dans un temps où les réseaux sociaux sont devenus une plate-forme efficace et même incontournable pour influencer radicalement la politique et l’économie mondiale, permettant à ceux qui en ont le contrôle de changer de chefs d’États et de gouvernements, ou encore de déclencher des guerres et d’y mettre fin?

Ilyas El OmariPrésident de ORF – Observer Research Foundation, Africa. Politicien et Activiste des droits de l’homme.